De ma fenêtre

De ma fenêtre
Toulouse, 5 juillet 2014, 21h15

samedi 8 novembre 2014

La nuit 10


La nuit, parfois, je dors, pris à contre-pied,
après coup étonné d'avoir basculé dans
le vide, laminé par quelque banal souci
dont je fais une montagne, enfin,
j'aime la montagne, et je me dis cela,
pour me retrouver un peu chez moi,
façon d'user l'angoisse en la taxant
d'artifice et de leurre, alors que si leurre
il y a, c'est bien là, dans ce bricolage
dont je ne suis même pas dupe, car
la montagne en question est un gouffre,
une galerie, et moi, la spéléologie, non.
Pourtant, sûrement y a-t-il des peintures
aussi vieilles que moi, de l'époque où,
enfant, je couvrais les murs, les draps,
l'oreiller, d'images folles mêlant la mort
et les rires, la plage, l'école et les chagrins,
plus tard, de combats, de victoires simulées,
puis d'étreintes à étouffer, de plaisir et de joie,
dans le contact parfait avec un corps de rêve.
Tout cela ne s'effacera pas, ni les visages
tant aimés, alors une nuit, je m'y risquerai.
Mais parfois, lassé d'une lecture flottante,
je m'endors, laissant tomber le livre
sur la pile de ses égaux, mes compagnons
d'éclipses, et quand je dors, ils patientent,
mais au réveil, un sentiment étrange m'envahit,
d'avoir un temps abandonné la ville
qui se trouve sous mon lit, elle aussi
bricolée, avec une myriade de bouts de rues,
de places, de cafés aux terrasses desquels
j'ai vécu mille aventures imaginaires,
où j'ai discuté des heures avec une foule
de personnages sculptés sur le champ,
et même enlacé une inconnue, oui,
je m'en souviens, comme ça, tendrement,
en pleine insomnie, et je l'en remercie.
Une belle ville, en somme, enfin non,
mais le matin, j'ai dans mes bras
le souvenir d'une troublante et fugace
présence, au bord des lèvres sa douceur.
Voilà pourquoi, si je dors, ce n'est que
d'un œil, on ne sait jamais, non, jamais.

(8 novembre 2014)

2 commentaires:

  1. je découvre ces textes "la nuit" ; sont-ils parus en livres ?

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    1. Oh, j'ai envoyé les 100, qui forment un tout, il y a peu, à trois éditeurs, mais, tu sais bien… ils vont mettre mille ans à ne pas me répondre… Je verrai en septembre, avec des versions sur papier… Merci, en tout cas, du passage, Serge.

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