De ma fenêtre

De ma fenêtre
Toulouse, 5 juillet 2014, 21h15

dimanche 29 mars 2015

La nuit 75


La nuit, les montagnes s'arrachent à la pesanteur
de l'air accroché aux sapins, brume s'effilochant,
aux rochers couverts de lichen, sentiers léchés,
cailloux brillants de rosée, boue de sabots fendus,
tapis d'herbe serrée semé de besogneux bousiers,
dans l'espace disloqué, les lignes brisées, elles
glissent lentement, en une dérive imperceptible,
nul ne sait où les mène la nuit, je suis des yeux
le lent défilé des à-pics, des cols figés de froid,
croise silhouettes penchées et visages fermés,
chocards, mouflons égarés, monticoles de roche,
étrange pays où jamais ne dorment les oiseaux,
où le vent grave des vies sur les parois glacées,
je passe un doigt hésitant sur ce braille de fortune,
que cherches-tu à deviner, pétrifié dans le noir,
regard rivé au halo du volet tissé par la rue vide,
quelle ridicule explication à la fêlure des jours,
voie d'approche des grands éboulis intérieurs,
je bouge à peine bras ou jambe sous le drap,
une vallée se creuse, tête déjetée sur l'oreiller,
vers le ciel où naissent les torrents et les chants,
j'emprunte au hasard un chemin, jeu d'enfant,
je fais le tour d'un lac et te vois, ou t'imagine,
un troupeau sonne au loin, ne suis sûr de rien,
je vais pieds nus, qu'importe, au matin, j'ai sur
les épaules, la forêt où nous sommes cachés.

(29 mars 2015)
Haute-Pyrénées, 19 juillet 2010. ©JJMarimbert


vendredi 27 mars 2015

La nuit 74


De la nuit les étonnants méandres,
résister, non, je me laisse dériver,
corps et âme pour ainsi dire déliés,
de mangrove en banc de sable ou
de galets, d'îlot en coude abyssal,
pour seul repère le clapotis du drap,
ciel d'Angelico piqueté d'étincelles,
l'esquif bricolé, ni rame ni godille,
de guingois frôle, racle les rochers,
à fleur d'eau, je caresse les algues,
ou surplombe, dans le silence mou
des forêts humides, arbres gouttant,
à peine éraflé, murmure des oiseaux,
des singes, et fond de vieux tamtams,
une montagne d'eau, une masse liquide,
reconnaissant à grand-peine mon reflet
lorsque, pris d'une irrésistible curiosité,
les mains crispées sur un pivot rouillé,
je tente en vain d'apercevoir le fond,
plongeant alors je défie le grand froid,
ici et là, d'étranges créatures sans nom,
l'être se dilue à l'approche du cœur,
fourbu, jamais il ne renonce, attrape
au creux d'une faille une image floue,
scène enfantine ou lambeau d'avenir,
et remonte, pâle, vers la surface lisse,
mais il arrive que, miracle du boréal,
coupant le courant à la force du regard,
accroché à la rive opposée, les poings
serrés, se dessine, au milieu des éclats
d'argent, poissons devinés et fuyants,
un visage inconnu, offert, dont je sais,
certitude du corps, qu'il est tien quand,
là-bas, invisibles, grondent les chutes,
sous l'arc-en-ciel des embruns irisés.

(28 mars 2015)
Toulouse, Ficus, 28 mars 2015, 5h59. ©JJMarimbert


mercredi 25 mars 2015

La nuit 73

Est-ce la nuit, vain refuge du fou, de l'être errant
le cri, corps jeté, lucide à tout brûler, terre, lune,
dehors, ballet des géomètres aux ailes graciles,
lampadaire agacé, casqué d'ombres immobiles,
le ciel, derrière les arbres, est profond, si épais,
des phares d'un coup les font se dresser, hirsutes,
est-ce la nuit, muette est la rue, la parole tombe
en pluie sèche, non, le sable envahit la chambre,
est-ce moi qui parle, sont-ce les rêves de Gogol,
Il m'est arrivé aujourd'hui une étrange aventure,
tout s'est mis à dériver, terrain mouvant des mots,
le dey d'Alger, verrue sur le nez, quelle histoire,
garde-corps franchi, je monte et descends la rue,
te souviens-tu, devant, toujours devant, cherche
la tache bleue, à l'horizon, mais la nuit, tu sais,
tu croises un vilain chien, il fait allusion à toi,
à tes cheveux, du foin dit-il, où prend-il cela,
le cerveau n'est pas dans le crâne, est apporté
par un vent qui souffle de la mer Caspienne,
est-ce bien cela, les cyprès dodelinent du chef,
je ne suis pas allé en Arizona, une nuit j'irai,
je fouille et scrute le sous-sol, qu'en reste-t-il,
un long tunnel, un boyau, un fil torsadé et nu,
de cet abominable langage, phrases tronquées,
brouillon de dessin, comme moi, mais au-delà,
je n'ose, esquisses, ébauche de visage, un trait,
routes et paysages, la nuit m'ouvre la voie, oh,
la beauté jamais ne se donne au jour, tu le sais,
fragile, et si légère, elle a le velouté de ta voix.

(26 mars 2015)
Toulouse, Métro, 24 mars 2015, 11h06. ©JJMarimbert


mardi 24 mars 2015

La nuit 72


Profonde est la nuit lorsque le chemin,
des regards l'écheveau tissé d'impatience,
est semé d'abîmes, soudain perdant pied,
cherchant à tâtons la moindre aspérité,
s'offrent de fines branches, leur ombre,
s'accrocher, peine perdue, le volet tremble,
souples, insaisissables, elles giflent l'air,
le visage, défilent alors, saccades floues,
dans le cliquetis d'un projecteur au rebut,
des bribes éparses, couleurs et sons mêlés,
sur la rugosité d'un à-pic intérieur, peut-être
gorge ou œsophage, rétines exaspérées,
parole envolée dans l'égarement des éclairs,
main perdue dans les plis d'un rideau,
aboiement d'un chien prisonnier du hasard
et livré aux cailloux, qui disparaît au loin,
pourquoi ces rires exténués, ces rires nus,
cette joie sauvée du vide, au fond des yeux,
corps enlacés surpris par le Vésuve, alors
reprendre le chemin, sauter le garde-corps,
traverser des villes inconnues, je suis là,
caresser une épaule et retenir son souffle,
au bout de la langue une peau étrangère,
si douce que s'endormir serait un crime.

(24 mars 2015)
Toulouse, 24 mars 2015, 7h42. ©JJMarimbert


vendredi 20 mars 2015

La nuit 71


La nuit seule ouvre les plaies, ronge le corps,
elle traque et fouaille, m'enserre et me traîne
jusqu'à je ne sais quel recoin, être, non-être,
consentant, pantois, friand d'énigmes froides,
allumer la lampe, me lever, suffirait à chasser
le vertige, jeter sur les rayons de livres jaunes,
le bureau, des regards écorchés par la lumière,
me ferait fuir vers la porte et le couloir, lâche,
les épaules glacées, non, immobile je me laisse
balader au milieu de méconnaissables débris,
parmi lesquels, alors que le sommeil me gagne,
d'un coup de patte d'ours surprenant à revers
un poisson, la nuit fait surgir çà et là, intacts et
frétillants, un bout de vie, une scène perdue,
un tremblement étouffé, une peur immémoriale,
pourtant je n'ai rien demandé, les yeux ouverts,
j'interroge l'espace en vain, le halo pour repère,
immuable, pâle, il encadre une autre chambre,
les remous d'un paquebot en partance, un été
dans la ville étouffante, un théâtre antique,
les rideaux d'une fenêtre ondulent au soleil,
il n'y a personne, dans l'escalier on parle, qui,
je ne reconnais rien, ni l'endroit, ni les voix,
présence en creux, trompe-l'œil, il n'y a rien,
je dois mâcher un moment avant d'en extraire
la goutte d'acide tombée sur mes rétines à vif,
sur mon ventre, ma peau, cette brûlure enfouie,
tu le sais, m'empêchait de te voir, de te toucher,
d'entendre le vent dans les cyprès d'Arizona, et
les oiseaux, et le brouhaha lointain de la ville, de
fredonner un air de Nat King Cole, le jour venant.

(20 mars 2015)

mardi 17 mars 2015

La nuit 70


La nuit est baroque, pâle étiquette, ne dit rien
de ce jeu d'ombres, de ce je, mais l'obliquité,
église dans une ruelle, grand tableau penché,
le glissement des reflets, le flou, un bras tendu
vers qui, il fait froid, je longe palais et places,
dos au mur reprends mon souffle, ton regard,
rien la nuit n'est vu de face, a englouti le ciel,
est ailleurs, je cherche, contourne les obstacles,
des statues orphelines jettent des éclairs mats,
caresser d'une main légère les robes de pierre,
la nuit, séduction pure, douceur de l'absence,
l'espace fluide baigne dans une clarté fuyante,
je scrute l'opaque, les formes ondulent, molles,
effacement, chambre muette, pupilles dilatées,
l'énigme sans cesse masquée oblige à tourner
les yeux, je suis happé, dans un musée infini,
colonnes lancées vers le plafond et les anges,
aux fenêtres, dôme gigantesque et baptistère,
sur le marbre veiné, Dante reçoit l'eau bénite,
est-ce la nuit, est-ce la musique, est-ce un appel,
de petites madones bleues à chaque coin de rue,
je marche depuis si longtemps, ne compte pas,
le lit roule et tangue, j'accueille le vide en moi,
des voix brisent les carreaux, charmantes et gaies,
une image tendue par la mémoire prend le relai,
dérisoire lutte contre le vertige que j'aime tant,
accroché à un visage deviné, je franchis le halo
du volet, tout alors est possible, tu sais, tout.

(18 mars 2015)
Toulouse, 16 mars 2015, 7h21. ©JJMarimbert


samedi 14 mars 2015

La nuit 69


Entre dehors et dedans, la nuit, présence floue,
indétermination de l'être, figure toujours dessous,
soudain expulsée, renversée, frontière si vague,
en négatif, vision d'un seuil infranchissable,
sans pouvoir en préciser la trace, le contour,
le parfum, pourtant ce visage du dedans, offert,
ce bougé des traits incertains dit l'essentiel,
dehors, dedans, dérisoire façon de trancher,
rien de cela n'existe, les mots trahissent le vent,
lorsqu'un oiseau chante, il est aussi bien l'arbre,
la forêt, il envahit le ciel, la coccinelle est fleur,
l'eau du torrent soutient la roche par dessous,
les chauve-souris frôlent les planètes glacées,
sur ta joue passe un vol de grues cendrées,
la nuit est ce contact, l'intime obscurité de l'être,
mes regards font surgir des formes aléatoires,
affleurement du corps flottant, mots hésitants,
et là, dans le silence rythmé par la respiration,
je suis l'air jusqu'au profond, remonte, dilué,
mon corps est sculpté par le drap, l'autre du soi,
appel de l'autre corps, dont l'avènement toujours
possible court dans l'espace, tu le sais bien,
faisant vibrer la frontière entre quoi et quoi,
tout cela occupe un instant mon imagination,
brisé par un bruit, une moto, un avion, des pas,
alors je sors, m'évade, me perds dans les cyprès,
me moque de cette propension à une errance
facile, au voyage immobile sur ma peau, dessous.

(14 mars 2015)
Toulouse, Cyprès bleus d'Arizona, 27 février 2015, 7h28. ©JJMarimbert





mercredi 11 mars 2015

La nuit 68


La nuit, le soleil est noir, c'est tout, si noir,
le non-être se mêle à l'être, pour tout dire,
piège, méprise, leurre, Jekyll, un enfant
de chœur qui tendrait les burettes au diable,
Tartuffe un saint de carnaval, je navigue
au jugé de rocher en rocher, sans phare,
me tourner, vers mur ou fenêtre, est vain,
je ne lâche pas, paupières en sang ou pire,
je comprends mieux Caïn, l'œil, une bête,
où se cacher, où fuir, où que j'aille je suis,
je me suis, me précède, alors dormir, non,
le moindre bruit me rappelle le monde, là,
dans la rue, sous les étoiles, en pure perte,
tout n'est plus que reflet, coin de bureau,
pâle sous-verre pris dans le halo du volet,
qui toujours luit, me nargue, plutôt moi,
les ombres sont des cantatrices étouffées,
des tragédiennes du cinéma muet, le vent
joue sa rhapsodie sur les étagères livides,
les papiers japonais de ma vie se déploient,
tout y passe, je me tiens par les cheveux,
il n'y a personne, je peux y aller franco,
nous ne sommes que tous les deux, Abel
et moi, la fosse d'orchestre cherche le la,
la nuit met en branle la grande machinerie,
cintres, porteuses, cabestans, roues de bois,
je suis sur le grill, à l'affût, lance les cordes,
les escaliers se dérobent, les fenêtres tombent,
de ma trappe, je souffle à qui mieux mieux,
je règle mes comptes, frais ou moisis, libre,
les rires sont pleins de dents, ils ricochent,
les yeux cernés de charbon fixent l'au-delà,
les pommettes poudrées simulent tout,
une métaphysique de papier mâché tisse
un monde peuplé de peurs tenaces, acides,
et, la rue étant saturée de silence, un rien,
gargouillis de tuyau ou volet grelottant, 
suffit à faire hurler les meubles, les livres,
d'ordinaire si discrets, je vide mon seau,
j'affronte la mort, rejoue la scène du crime,
seule façon de renouer avec je ne sais quoi,
le jour à venir, peut-être, apaisé, vois-tu.

(11 mars 2015)
Toulouse, Cathédrale Saint-Étienne, 11 mars 2015, 16h32. ©JJMarimbert


lundi 9 mars 2015

La nuit 67


La nuit, toutes les tragédies se nouent,
il n'est question ni d'heures, ni de minutes,
obsolètes repères d'une réalité vacillante,
les lieux glissent les uns dans les autres,
l'urgence est la règle, le raccourci prévaut,
la lenteur étire alors les paysages, les pièces,
l'essentiel est mis en scène, sans fioritures,
une main, un visage, une phrase lancée au ciel,
des pas sur une terrasse bordée de rideaux,
à tout instant des émissaires entrent et sortent,
à chaque seconde une rupture est possible,
ce qui un moment est lié à je ne sais quelle
nécessité vitale, si profonde qu'elle échappe
au sens commun, je m'y perds m'y retrouve,
voltigeant ici et là comme chez moi, sans moi,
soudain se défait, des pans entiers s'effondrent,
au loin poussière, nuages, bruits de galop,
jamais les oiseaux ne chantent ainsi le jour,
les arbres ne se laissent caresser par le vent,
les bouches, les yeux, inconnus, appelés,
familiers ou entrevus, et toujours tu es là,
les paroles sont la vie, tendres ou écorchées,
des batailles se livrent, en mer, en plaine,
sans armes, sans vainqueurs, sans morts,
le lit est un refuge, la nudité un monde,
les corps s'affolent, s'affrontent, s'aiment,
dans le murmure des voix enlacées, la nuit.

(9 mars 2015)
Toulouse, 9 mars 2015, 21h19. ©JJMarimbert


samedi 7 mars 2015

La nuit 66


Il en est de certaines nuits, d'un bleu profond,
comme de ces coffres, appelés par l'apnée,
eau tumultueuse traversée de courants
imprévisibles, docile mon corps l'épouse,
j'aperçois au loin, sur fond de sable ondulé,
parmi les algues auréolées de vert tendre,
des alevins par grappes nerveuses tétant
çà et là des restes de banquets obscurs,
mes yeux piquent mais vivre, résister,
vois un point, m'approche au gré de l'entropie,
là gît, bouche fermée un cri, une serrure,
un refuge, une histoire, un étonnant projet,
de roches déchirées jaillissent les anémones,
je tends la main, jamais ne l'atteints, éreinté
mais intact, venu de je ne sais, où, quand,
d'avant, d'après, dans l'attente d'un remous
plus fort que les autres, un de ces coffres
longtemps roulés, malmenés, soulevés par
une tempête de haute mer, navires broyés,
les marins guettent les murs d'eau, l'orage,
les rêves tournoient, soleil perdu à l'horizon,
les coques luttent, se vrillent, puis cassent,
alors ces coffres, lumière cachée, rejoignent
le cœur du monde, par amour des fonds,
et peu à peu passant les failles, déposés
sur le sable par une vague majestueuse,
si tu voyais, douce et implacable vague,
me laisse porter, les rejoins, j'aime nager,
ils ont tant à dire, saurai-je entendre ce qu'ils,
de nuit en nuit, offerts coiffés de laminaires,
piquetés de chapeaux chinois, ils renferment
les regards, visages, mondes épargnés par
les naufrages, sans lesquels plage n'existerait.

(7 mars 2015)