De ma fenêtre

De ma fenêtre
Toulouse, 5 juillet 2014, 21h15

mardi 30 septembre 2014

Sauvage ontologie 21


Douce aridité crayeuse
des galets polis par
les voyageurs égarés
le sable mêlé de coques
et de couteaux vides
crisse sous le pied nu
tandis qu'au loin derrière
les dunes coiffées d'oyats
chahutés par les vents
de pins triturés par la sève
batifolent et s'entretuent
les rumeurs de la ville
traversée de cris étouffés
de rires de paroles lancées
de visages caressés du regard
la grande marée dépose
sur le littoral millénaire
des chevelures d'algues rouges
piquées de fissurelles
des oreilles de Saint Pierre
des éclats de mâts des cageots
des bouts de cordages dilacérés
gorgés de sel et de souvenirs
l'être se faufile entre
les rochers traque l'horizon
s'accroche à un lointain cargo
écoutait-il les cloches
de la Basilique Saint Sernin
égrener l'Ave Maria dans
l'air frais de huit heures.

(30 septembre 2014)
Baie de Loia, 21 août 2014, 17h29. ©JJMarimbert


dimanche 28 septembre 2014

Sauvage ontologie 20


Au large des côtes battues
par les vents affolés du levant
roches et mousses lissées de sel
sous un implacable soleil
pins couchés sur la terre rouge
qu'aucun pas ne foule plus
dans le murmure des branches
refuges des mues imaginales
offertes à la voracité des fourmis
sur l'eau fripée les crêtes d'écume
glisse le chant des voix anciennes
et à venir voix qui la nuit le jour
se moquent de la houle hébétée
tissu bariolé des écailles de vie
dont l'être s'enveloppe pour éclairer
l'abîme englouti par le léviathan
observait-il dans le bus bondé
une petite dame en chapeau et
son chien petit noir et blanc
très inquiet haletant à un rythme
effréné langue tombée ravalée à
chaque coup de frein du mastodonte.

(28 septembre 2014)
Sète, 19 juillet 2014, 13h55. ©JJMarimbert



jeudi 25 septembre 2014

La Robe d'été (extrait)


Louise se lève, ôte son chemisier, fait glisser sa jupe.
Elle ouvre la fenêtre. Dans la vitre, elle est prise par
le regard de l’absente. Elle rassemble ses cheveux,
les entortille en un chignon à l’ancienne et demeure ainsi,
la tête légèrement penchée sur le côté, comme sur l’affiche
de Matisse. Son corps lui plaît. Elle aimerait que Sylvain
la voie ainsi, comme elle se voit, comme elle est vue, à cet
instant précis, par son reflet. Elle aimerait qu’il caresse ses
seins, son ventre. L’air est soudain plus doux. Elle lâche
ses cheveux, ils retombent en cascade sur ses épaules.
Tout cela n’est qu’un jeu. Le jeu du corps. Mais le visage
qu’elle aperçoit sur la vitre la contemple depuis un lieu qui
n’existe pas. Sa mère, envolée, qui chaque jour meurt et
revit en elle, qui toujours s’est dérobée à ses appels.
Sa mère, découverte un matin, en sang. Elle a quatre ans,
immobile sur le seuil, elle fixe le corps allongé, elle
appelle, elle est soulevée de terre, une main lui couvre les
yeux, il y a des cris, son père, elle n'entend plus rien, se
retrouve dans la cuisine où l'horloge brille, dans la
cheminée crépite déjà le premier feu du jour.

"La Robe d'été", extrait (nouvelle)
L'Autan des nouvellistes, coll., Éd. de l'Atelier du gué, 2013
Toulouse, Garonne, 21 avril 2014, 16h54. ©JJMarimbert



mercredi 24 septembre 2014

Sauvage ontologie 19


Recommencer tout va de travers
en ce lieu que la lumière creuse
où cave et grenier se touchent
portes et fenêtres de guingois
au moindre souffle grincent battent
les gonds rouillés n'ont pas servi
depuis belle lurette
ciment effrité plâtre jauni
ni sortir ni rentrer alors
le sol jonché de tas de riens
enfin des riens de vie
des riens de temps
roulent ici et là tintent
contre plinthes ou pieds du lit
repartir à zéro pointé
là tenir ferme souquer
mais les chaises la table
le buffet qu'en faire
et l'armoire tiroirs pleins
ne ferment plus les vêtements pendent
langues d'animaux dans l'attente de l'eau
lettres papiers accumulés illisibles
carnets empilés livres à terre
bibliothèque poussiéreuse
tout sortir laver trier jeter plier
donner ne rien garder déchirer
pas de photos ça non rien
tout est dedans visages voix
regards malicieux ou lointains
gravés depuis toujours 
quel éclat quelle douceur
non pas ça tout de même
deux trois mots pour le fil
ne pas couper trop court
penser à après comment faire
sans ce petit tableau de traviole
signé d'un inconnu
paysage espagnol ou d'ailleurs
tordu montagne sèche maison
mer au fond voile penchée
le poser sous la lampe
du bureau avec le stylo noir
dans le vide-poches un bric-à-brac
une esquisse un brouillon d'existence
recommencer butiner humer l'air
entrer dans le tableau grimper
rejoindre le vent bleu rêver
tenace et têtu l'être trace 
sur un carnet à petits carreaux
la ligne brisée d'un bonheur
éphémère mais que faire
ne plus attendre ventre noué
basculer vers l'avant et courir
souriait-il dans le bus où
venait de monter un groupe
d'enfants excités et joyeux.

(24 septembre 2024)
Porte, 24 septembre 2014, 7h46. ©JJMarimbert


vendredi 19 septembre 2014

Sauvage ontologie 18


Vie secrète au fond du parc
cerné de briques rouges
feuilles à terre effleurées
panache d'un jeune écureuil
en feu qui soudain s'évapore
au cœur des branches entrelacées
traits de lumière plantés
dans l'humus noir et or
épandu au pied des troncs
les statues académiques veillent
toges de pierre sylphides étonnées
leurs regards passent les grilles
rejoignent les portes claquées
les pas pressés les vélos
la ville se laisse caresser
par le souffle des voitures
sur les trottoirs le frôlement
des êtres fait se mouvoir
des planètes intérieures
corps entraperçus visages
des yeux touchés joues pâles
bouches teintées de soleil
deux mains serrées jouent
à se quitter se retrouver
les doigts miment la tragédie
des départs à la guerre
des retours espérés des cris
de joie quand enfin les peaux
nues se réchauffent à l'abri
du monde indifférent
comprit-il sortant de chez lui
que son existence au fil ténu
était le décor merveilleux
d'un drame voué à l'oubli.


Têtue désespérée se fraye
un chemin sinueux entre jaunes
bâtisses hangars immeubles
cafés magasins décorés bruyants
démesurés sous néons jour et nuit
les lampadaires creusent des puits
une rue large à peine d'un pas
un vieillard pousse sa canne
une moto se cabre s'envole
d'une poussette sort un cri
des enfants courent s'entretuent
des couples s'arrêtent discutent
ciel rayé d'avions invisibles
la rue se contorsionne vire
cherche une sortie butte contre
les grandes avenues luxueuses
rebrousse chemin s'enfonce
dans les quartiers anciens
grimpe la colline qui surplombe
les champs et tout là-bas la mer
un port le soir des pêcheurs
dansent au son des guitares
buvant du vin de nacre mais
non il n'y a rien la rue tourne
panneau publicitaire lumineux
glisse femme jolis pieds sandalettes
eau de source montagne ensoleillée
rien non rien la rue se noie dans
le vacarme d'une place en travaux
statue couchée dans le sable
fontaine sèche encombrée d'outils
les yeux vides les mains vides
il n'y a plus rien nulle part
ni dehors ni dedans le silence
la ville est plongée dans le noir
la rue se perd dans la tranchée
creuser chercher dans ce vide
s'il ne croit plus en rien en personne
l'être sonne creux dans ce creux
la rue sillonne le temps l'ailleurs
à peine large d'un pas croise
chemin faisant d'autres rues égarées
quelques arbres se dressent offrant
leur ombre à la joie murmurée
cherchait-il sur une plage bondée
ses lunettes sous le petit parasol bleu.


En tout lieu ville ou forêt
désert vallée inutile d'aller
aussi loin dans cette rue
derrière ce mur passer la porte
à la poste petite file d'attente
un colis une lettre devant soi
tombe un papier se baisser
nez à nez bouche à bouche
visage surpris sourire effacé
à la va-vite le cœur s'agite
tout frétille dehors klaxons
complices oui attention tout
est possible monde ouvert
fermé dans le colis une main
des cils des seins des yeux
tout cela sur un papier tombé
écrit lu relu en tout lieu l'être
s'attend à croiser un être autre
se baisser prendre le papier
avis de passage de l'être
se présenter tel jour telle heure
s'offrir être là comment savoir
l'autre a vu bouche à bouche
dans le colis des fleurs des rires
des voyages des lits des cafés
partir c'est posté d'où déjà
l'être s'attend à croiser mais
qu'il ne verra pas qui sait
ne pas ouvrir le colis rêver
non scotch papier kraft hop
et voilà des yeux des rires
entrer dans la poste espérer
qu'un papier tombe à terre
et tout le reste non c'est trop
ne pas partir en courant
balayer les tempêtes rire
de tous les naufrages être
là patienter dans la file sans
attendre cela ne sert à rien
observait-il le boulanger
tirant du four des palettes
chocolatines croissants dorés.

(19 septembre 2014)
Toulouse, Allées Jean-Jaurès, 20 novembre 2013, 18h03. ©JJMarimbert


lundi 15 septembre 2014

Destin d'un ange (extrait)


Le jour pointait
l'heure ne sais
n'en pouvais plus
mise à pousser
forcenée le plein
d’air quatre fois
cinq éclair douleur
comme jamais
étoiles puis rien.
Ouvert les yeux
Olivier devant
moi ébouriffé
fixait mon ventre
une statue ne le
reconnaissais pas
depuis combien de
temps ne sais
appelé peut-être
dans la brume
évanouie il était
là approche-toi
je lui ai dit tu vois
c'est allé vite. Il
regardait jambes
lit moi passée sous
un camion Olivier
a crié. Laisse-moi
je souffle je lui disais
pas d’air parler me
tue. Pas compris de
suite mal partout
un cri cognait ma
tête silence terrible
bourdonnement dans
mes oreilles dans
l’église à crier ça
résonnait et le petit
où il est pourquoi
tu me regardes
passe-moi de
l’eau je nous
entends loin ça
flotte tu me dis
quoi Olivier figé
les yeux sur mon
ventre l’enfant
je divaguais peur
n’entendais pas
l’enfant tempête
dans ma tête
imaginais le pire,
Olivier des mots
je ne comprenais pas
ou rien ne sais plus
aide-moi m’asseoir
oreillers je ne vois
pas le petit pose-le
sur moi j’ai mal
Seigneur qu’est-ce
qui est arrivé tu vas
parler oui ne me
regarde pas fais-le-moi
toucher approche-le
n’y vois rien il ne
bouge pas. Ce cri je
ne l’ai pas rêvé
encore gorge serrée
fourmis partout bras
jambes me calmer. Et
là Docteur je la revois
petite un ange.

Destin d'un ange, suivi de La Fourche, Éd. du Cygne, 2012.
Jean Cantaloup, Le vieux mas, Cassis, 1973 (détail). 


samedi 13 septembre 2014

Sauvage ontologie 17


Les tables mâchent en silence
le monde est mordu au cœur
tenu serré entre les dents
lèvres maculées de sucre
fenêtres fermées sur les jardins
glacés d'effroi d'indifférence
les arbres sans oiseaux jettent
leurs squelettes à l'océan
les rues se gavent de sable
au port les bateaux attendent
visages penchés sur les assiettes
décorées de mirages assassins
cliquetis d'acier de terre cuite
pas un mot pas une mouche
l'eau des verres est trouble
ne plus croire ne plus voir
ici là leurres et mensonges
les écrans servent la soupe
dans des passoires en or
pas une bribe de ritournelle
d'air fredonné non tout est tu
les sourires sont de carnaval
les yeux de porcelaine rayée
beauté pâture des fourmis
de fil en aiguille de l'être
la bouche se coud de l'intérieur
approchait-il de la boulangerie
vitrine ornée de pains en forme
d'animaux de bonshommes de fleurs.


En vue de Tarifa s'endormir
en criant lutter
port brûlé de silence
petites routes défoncées
par la famine l'ombre policière
l'acier froid des fusils
les bicornes de carton-pâte
faire de la nuit le jour
boire la poussière des nuages
des oliviers de marbre
des écorces de chênes
des statues rongées de ciel
s'assoupir assommé au milieu
des chicots d'une ville assiégée
depuis des millénaires
d'un bond se lever
jeter des pierres au loin
chasser les ongles noirs
les yeux ensanglantés
nourrir les oiseaux et les rêves
lancer aux quatre vents le nom
d'une femme drapée
visage de l'ange au détour
des rues des nuits des forêts
patience des marins
montagnes asséchées où résonne
le mythe aimer aimer aimer
n'avoir rien d'autre à soi
marcher à travers champs
guetter l'être à venir
rangeait-il son bureau
espérant retrouver une bague
bien trop grande
venant d'un jeune aïeul
mort gazé à Verdun.


Gouttes de rosée sur la pierre
le brouillard se dilue s'effiloche
glisse en lambeaux à-pic rugueux
ivre l'eau coule dessine le relief
les choucas sucent la mousse imbibée
soleil encore caché derrière les cimes
isolées en plein ciel neiges écarlates
une chevelure d'ange se tisse peu à peu
enserre les pâles éboulis pentus
premières touffes premiers sabots
les ruisseaux brillent dans le soleil
chantent murmurent sous les fleurs
sautent joyeusement les roches
petites cascades invisibles rejoignent
un méplat gorgé d'où s'échappe
jeune bison qui scintille caracole
courant grondant de plus en plus
l'être libéré l'être à jamais seul
torrent solitaire il creuse son chemin
entre noirs rochers failles et sapins
sculpte le pied de la montagne
à corps perdu se jette dans la rivière
étonnée de tant de vigueur enfantine
elle qui paisiblement traverse villages
et prairies où se délectent les vaches
coupa-t-il un morceau de pain
pensant soudain à un souk
bruyant coloré de son enfance
parfums mêlés menthe fraîche
coriandre et fleurs d'orangers.

(13 septembre 2014)
Tarifa, 18 mai 2007, 8h14. ©JJMarimbert