De ma fenêtre

De ma fenêtre
Toulouse, 5 juillet 2014, 21h15

jeudi 11 juin 2015

La nuit 92


Cette nuit, un orage gronde, si lointain,
mêlé aux ragots, aux échos de l'avenue,
derrière le rideau d'arbres et les façades,
puis plus rien, tout est suspendu en l'air,
dans l'attente du pire, livres et étagères,
lampe, bureau, vide si tendu, comprimé,
le lit ne respire plus, d'où vient cet orage,
il tarde à exploser, du sud, formé en mer,
au large de l'Espagne, prélevant sa dîme
d'eau salée, usant les espoirs les plus fous,
nuages épais, noirs, les bateaux de pêche
se font tout petits, les moteurs toussent,
ils filent au port dans l'obscurité du jour,
mais le vent les surveille, puis plus rien,
alerte, l'orage glisse vers les montagnes,
les bêtes s'affolent, cornes, sabots raclent
contre les précipices, les pupilles fendues
s'abîment dans l'écho des vains bêlements,
les arbres ploient sous la trombe et le vent,
les sommets ruissellent, le tonnerre éclate,
fulgurante colère divine, les forêts brûlent,
nul répit pour la vapeur électrique, chaos,
déjà les cyprès bleus d'Arizona se figent,
les oiseaux se cachent, à la fenêtre ouverte
je guette l'orage, au-dessus des toits, là-bas,
une vague lueur se répand dans l'épaisseur
des nues, un éclair gommé, rien, est-ce moi,
toujours, ou l'avenue, morte à cette heure,
je pense aux animaux, ils dorment, et toi,
ton sourire, le ciel est à nouveau clément.

(11 juin 2015)
Toulouse, Cathédrale Saint-Étienne, 4 mars 2015, 16h20. ©JJMarimbert


mercredi 10 juin 2015

La nuit 91


La nuit, ce ressac, de sombres rochers affleurent,
à la surface, épars, des éclats de vieux gréements
auréolés d'écume sale, dérivent, crique invisible,
raclent le sable, ils roulent, hésitent, s'échouent,
souvenirs de coques éclatées, de cales éventrées,
déversé sans vergogne le butin de la vie se délite,
des rouleaux fracassés sur la falaise, le vacarme
couvre les plaintes, les chants, les cris d'oiseaux,
des lambeaux d'algues brunes flottent au hasard,
arrachés des hauts fonds, mêlés à des arapèdes,
à moitié immergés, visages de joies trop fortes,
explosions molles ralenties par l'après, l'ailleurs,
passent aussi des bouts de phrases, des regards,
des livres aux pages dissoutes, des rues obliques,
des vitrines de magasins luxueux, des brasseries,
le salon bleu, décoré à l'anglaise, d'un paquebot
cinglant vers la mer du Nord, au large d'Ostende,
et, dans la pénombre, oui, l'attente de ton sourire,
le crépitement des pas perdus, se croisent, filent,
entrelacs serré de rails au milieu d'une cathédrale
sous-marine, le souffle des émotions, je me lève,
traverse le halo du volet et me retrouve à l'autre
bout du monde, dans le silence infini de la nuit.

(10 juin 2015)
Toulouse, Cathédrale Saint-Étienne, 27 mai 2015, 16h26. ©JJMarimbert


mardi 9 juin 2015

La nuit 90


La nuit est un essai, sous l'avalanche des possibles,
quand les batailles s'achèvent et que tourne le vent,
la mer sombre et calme engloutit les jours en ruine,
tenir tête aux bourrasques, ô séductions guerrières,
au séisme d'un printemps inachevé, aux fleurs nues,
à l'inquiétude des mains vides, de la peau exaspérée,
aux regards de feu lancés à tout-va, reflets de reflets,
dehors passe du jour mors pendant le cheval malade,
le Canal respire à peine, les carpes étouffent, avides,
saules, platanes, cyprès, figuier, prunus, lilas, palmier
boivent le ciel étoilé, large fenêtre, le lit est immense,
toujours, la nuit, et les livres emprisonnent les siècles,
sourire, tenir tête, à qui, quoi, dans la pâle pénombre,
ici ou là trouée par l'agacement d'un moustique ivre,
une tache de sang sur l'oreiller, drame de l'obscurité,
résister à tout, t'accueillir, que naisse la joie, d'être là,
la fraîcheur des mots, au bord des lèvres, entends-tu.

(9 juin 2015)
Jean Cantaloup, Cassis, 1973, détail. ©JJMarimbert


dimanche 7 juin 2015

La nuit 89


Incessant retour de la nuit, étonnante, elle s'ouvre
plus ou moins, fenêtre ou porte, au coin d'une rue,
elle sculpte mains, visages, à l'ombre d'un regard,
le reste est bleu ou jaune, les talons piquent le sol,
vifs, mystérieux, ils cousent la ville à la machine,
les pensées volent, rejoignent la vapeur des arbres,
solitudes enlacées, rêves en marche, oui, à bientôt,
dans le jardin, lutte infinie des insectes, des chats,
sous le palmier, la dentelle des spectres amoureux,
mais le gravier de l'allée craque, retour de la nuit,
fait s'envoler un merle piaillant, il frôle les feuilles,
qui, pourquoi, un chien malade, un maraudeur, non,
la chaleur de l'été précoce dilate l'air des poumons,
les nuages secs et les bulles à la surface du Canal,
le revoilà, se pose sur le drap, bec à l'affût de tout,
quelle avidité, quelle leçon de vie, que cherche-t-il,
le temps tourne, odeur de pluie, de tilleul, de terre,
un frisson court sur la peau et l'univers en tremble,
chuchotis des galets aspirés par une eau invisible,
vaguelettes nocturnes, qu'y a-t-il dessous, je vois
des yeux ronds, des laminaires, le reflet d'un port,
le merle s'enfuit en râlant et fonce dans un cyprès,
à terre, un livre dans le halo du lampadaire de rue,
la nuit est un coquillage, vaste et profond, tu sais,
et, sans le murmure de nos mains, fermé à jamais.

(7 juin 2015)
Toulouse, Canal du Midi, 7 avril 2015. ©JJMarimbert


jeudi 4 juin 2015

La nuit 88


Au cœur de la nuit, les arbres agitent leurs doigts
pour attraper les sauvages pensées, lianes du sens,
les nuages se délitent dans la noirceur d'un puits,
lever les yeux au ciel revient à tomber de si haut,
lancer les bras, les mains tentent d'agripper l'air,
les cyprès ne s'embarrassent pas de tant de vanité,
au bout des branches fragiles gouttent, sève acide,
les espoirs fourbus, mot légué par Nicolas Bouvier,
dans les bourgeons naïfs étouffent les siècles vides,
passants, pantins, démarche saccadée, talons secs,
genoux et chevilles rouillés, chapeaux vissés, jupes,
la porcelaine des rires éclate sur le trottoir, la joie,
sol jonché de saisons inachevées, d'enfances à venir,
d'actes d'amour esquissés, une jambe, doux regard,
la peau frémit sous la caresse des yeux, ce frisson,
un merle éberlué, se rêvant aigle, s'ébroue, muet,
il survole les cimes, au loin l'océan, les poissons,
silence des ouïes, l'argent scintille dans les remous,
cela suffit à faire basculer les murs de la chambre,
les immeubles se cachent derrière les cyprès bleus,
le temps trouve refuge dans les boîtes aux lettres,
j'imagine le fleuve sous la lune, secret, chantant,
qu'a-t-il donc à fêter ainsi je ne sais quel succès,
il retient la lumière, s'en nourrit, apaisé, heureux,
mais oui, les oiseaux se contemplent dans l'eau,
une voiture au loin klaxonne, une, deux, trois fois,
lance un appel si doux, comment résister à ton rire,
c'est impossible, tu le sais, autant renoncer à vivre.

(4 juin 2015)
Toulouse, 27 février 2015, 16h33. ©JJMarimbert


mercredi 3 juin 2015

La nuit 87


Impossible, cette nuit, de savoir d'où vient
ce bruit, s'il n'est folie des sens, du monde,
apparu, surgi plutôt, du poumon, du crâne,
soudain évaporé, caché on ne sait où, oui,
si près, dans les escarbilles de l'insomnie,
à brûler les paupières de nouveau, éclaté,
musique, le souvenir haché d'une mélodie,
écho de l'avenue que l'autan fait virevolter
sur les façades, tournoyer entre les cyprès
bleus d'Arizona, faisant trembler un merle,
revenant, têtu, taper contre le volet, tac tac,
des baguettes d'Asie sur un coffre de bois,
le rythme d'une danse, du désert, des forêts,
il y a des huttes, des jonques, des bambous,
quelle idée aussi, de le fermer, déraillement
des sens exaspérés, aucun danger que la mer
envahisse la chambre, balaie tout par la force
de l'eau, livres et bureau, étagères fracassées
contre le mur, l'eau s'engouffre dans le couloir,
aucun danger, sous l'eau le bruit est si étrange,
ondule, d'où les sirènes, alors fenêtre ouverte,
ce qui entre finit par sortir, le corps tourne et
retourne dans les draps, chagrins de l'enfance,
l'homme aussi pleure, muet, console l'oreiller,
douceur salée des larmes, joie de voir la mer
rejoindre l'horizon, émettre un bruit, profond,
tu sais, un appel, d'un oiseau posé sur ta main.

(3 juin 2015)
Tabatière de Na Cham, Tonkin, fin XIXe. © JJMarimbert



mardi 2 juin 2015

La nuit 86


Tentative de nuit, se jeter les yeux ouverts,
mains tendues, accueillir le vent, se jeter là,
immobile, à l'affût, tout passe si vite, la vie,
la grande houle malmène le volet, le destin,
il tape à rompre les gonds, les cyprès fous,
la rue est ivre, le ciel va se fendre en deux,
il faudrait se lever, fermer crâne et fenêtre,
vite, au lieu de quoi, rien, paupières sèches,
les écaillures du plafond dilacèrent la rétine,
à force de racler le fond des questions nues,
les livres sont lus et relus, les vêtements las,
y a-t-il donc si longtemps que la pluie tombe,
un vieil orage égaré n'a jamais rejoint le large,
il y a une grande faille, la fenêtre est déchirée,
l'océan se rapproche, se jeter les yeux ouverts,
là, s'envoler, l'immeuble, une pastille de béton,
la rue, un trait, en bas le fleuve lèche les quais,
un petit bateau suffit, au fil de l'eau, en un rien
de je ne sais quoi, oui, l'Atlantique et Lisbonne,
sauter du côté de Belem, les terrasses scintillent,
port bien gardé, de doux pastéis, du vinho verde,
s'asseoir, attendre, c'est si loin, mais quelle joie,
il faut du courage, oui, pour traverser l'horizon,
à couper l'iris, venir de l'autre bout du monde,
la rue frissonne, les talons claquent gaiement,
des pas dans l'escalier, et la clef, est-ce la clef,
le vent s'est adouci, le halo de lumière flotte,
comme le drapeau d'un trois-mâts, enfin rêver,
je te l'avais dit, sur le Tage, tout est possible.

(2 juin 2015)
San Sebastian, 22 août 2014, 16h18. ©JJMarimbert