De ma fenêtre

De ma fenêtre
Toulouse, 5 juillet 2014, 21h15

samedi 28 février 2015

La nuit 64


Il arrive que la nuit offre des ébauches de routes,
se laisser porter suffit à faire naître des paysages,
des esquisses de forêts, je m'en approche, écoute,
jamais le silence n'est total, une bête, une feuille,
de l'eau gicle sur la roche, un oiseau file en douce,
un rien, je me trouve sur un autre chemin, et de fil
en éclat, ce sont autant de voyages, de sites, le ciel
s'incurve, les arbres se font piliers de cathédrale,
les animaux sont partout, je vois leurs yeux malins,
des silhouettes çà et là chuchotent, dansent, rient,
je tends l'oreille, souvent du lointain parviennent
des chants à venir, tout ce monde le jour se tait,
ou presque, je ne sais plus, peut-être l'ai-je fermé,
la nuit déroule sur le lit d'anciennes cartes marines,
sans donner ni sextant, ni règle, compas ou phare,
peu importe, là-bas, ici, balivernes, et où je suis,
où que je me tourne, personnages, villes, fleuves,
rues, terrasses, accueillent mes pas, je te parle
et je t'écoute, le corps brûlant d'attention, avide,
je sillonne les océans, jamais ne suis allé si loin,
jamais n'ai entendu ni chanté si belles mélodies,
sait-on laver les blessures, arracher les échardes,
effacer des rétines l'éclat des lames brandies,
la nuit lèche la peau, fait virevolter les lucioles,
dans la chambre, les meubles se figent enfin,
le vent cesse de menacer les murs, le volet,
la houle aveugle s'épuise à attaquer la falaise,
jamais ne parvient à user la ténacité des oursins,
des moules bleues, des fous de Bassan, tu sais.

(28 février 2015)
Toulouse, Cathédrale Saint-Étienne, 28 février 2015, 17h18. ©JJMarimbert


jeudi 26 février 2015

La nuit 63


Nuits des anges musiciens, le vin était-il noir,
bu dans l'urgence de l'ennui, même pas, gorgées
saturées de silence et cette mélodie, ce rythme,
est-ce dans la rue, y a-t-il seulement une rue,
je sillonne la ville, lumière d'or au couchant,
me précipite au cœur des ombres, je marche,
il y a si longtemps, rien n'a bougé, et la nuit,
je longe souvent l'Arno, serpent vert, marron,
nel mezzo del cammin di nostra vita, psalmodie,
repris et repris dans la chambre à l'Accademia,
fenêtres en faux vitraux, bois sombre, lampe,
je ne dors jamais, je marche, ne cherche rien,
et bien sûr, mi ritrovai per una camera oscura,
una strada oscura, deux, dix, dans les jambes
des siècles d'obscurité, plafonds peints, stuck,
ciels percés où volent, non, je scrute le sol,
la musique des anges dégouline, il fait froid,
je pousse la grille d'un jardin, oui, c'est là,
des pas dans l'escalier, San Marco, personne,
une jam pour fêter l'Alighieri, tissu froissé,
mais je suis ailleurs, à chacun son guide,
moi, vrai faux César auréolé de verdure,
passé le pont, en tête les statues amputées,
Palazzo Pitti, je ne sens pas mes doigts gelés,
ché la diritta via, ou bien est-ce moi, smarrito,
à croire qu'errer, vile prétention, je murmure,
le lit se peuple d'arbres, de haies, de bancs,
de ces bancs de pierre rugueuse où, tu sais,
sur le parquet à larges lames, je ne dors pas,
j'écoute, ici je parle aux cyprès, je me moque
de moi, le temps racle ma gorge, je respire
à fond, lentement, oui, petit flacon de vétiver,
abandonné sous le lit, je t'ai imaginée, mais
San Lorenzo s'agite, la nuit danse, je sors,
partout, douceur et tremblement des roues
de métal sur les pavés de la place, ciel muet,
en me tournant, mes yeux ont roulé à terre,
à peine ai-je entrevu, un visage, une bouche.

(26 février 2015)

jeudi 19 février 2015

La nuit 62


Inépuisable nuit des ombres, au moindre
souffle envolées, tout s'y transforme en
châteaux, ruines, falaises ou paquebots,
fous de Bassan et choucas se défient,
leur ballet lacère mes pupilles opaques,
la baie de Loia ouvre la route des Indes,
inépuisable nuit, grandes lames de fond,
sommets enneigés d'une houle de marbre,
sur la scène d'Épidaure je titube de joie,
de rage, d'amour désespéré, de tristesse,
au loin la mer des conquérants miroite,
les navires affrontent ciel, vent et pluie,
je réalise enfin mes vieux rêves d'enfant,
mais j'en veux toujours plus, par dessus
bord je jette l'or de Tarsis, et les dieux,
quincaillerie de rien, rien hors tes yeux
ne brille, hors ta peau ne chante, ne rit,
Atlantique et Méditerranée se mêlent,
le vent d'Est fait chanceler Gibraltar,
dans les forêts surgies derrière la porte,
quand les ours flairent les baies mûres,
les oiseaux de nacre traquent les mulots,
la mousse enveloppe l'écorce des chênes,
sous le bureau se cache un troupeau égaré,
les guerres se sont tues, lassitude des morts,
le murmure des rivières glisse à l'horizon,
à la fenêtre ouverte, lampadaire ébouriffé
dans son nuage de papillons et de tipules,
patience infinie de la lumière et de la vie,
je le sais, tu es là, intarissable nuit de sang.

(19 février 2015)
Baie de Loia, 21 août 2014. ©JJMarimbert


mercredi 18 février 2015

La nuit 61


Délicate est la nuit, jamais venue,
comment savoir si la nuit, ou non,
fragile est la chute, au soleil fondu,
partout se pose une lumière si fine,
si fine que nul ne peut la voir, ni toi,
la nuit protège ou cache, je ne sais pas,
en plein désert, une pluie d'étincelles,
feu éteint depuis si longtemps, écrasé
sous le talon rageur, nuage d'escarbilles,
je marchais, lave noire, éclats de ferrite,
dans la main, brûlante encore du jour,
je mesurais la petitesse de, bras tendu
vers les montagnes violettes, au loin
les dunes aiguisées par le vent, des pas,
non, j'ai cru en voir, d'un coup la nuit,
tant de morts sous le sable, ils sont là,
ciel scintillant sur un océan de cailloux,
allongé, quel vertige, happé, tant d'étoiles,
ici plafond si lourd, tu sais, je parcours
un chemin, toujours le même, le troupeau
de livres accrochés à l'à-pic de plâtre,
le majordome en bois sombre où reposent,
flapis, tant d'efforts vains, les vêtements,
puis les feuilles empilées, le bureau muet,
la lampe, un oiseau, long cou, attentive,
l'être loge partout, la nuit, musique diffuse,
rythmée par les aléas, voitures, talons, cris,
la plus belle, jamais venue, sur ton épaule,
avec pour horizon la lumière sous la porte,
et les îles disparues, la mer est un aimant,
je revis d'y songer, j'entends le clapotis,
le halo du volet me rappelle les canisses,
je m'abandonne au mouvement des vagues.

(18 février 2015)

samedi 14 février 2015

La nuit 60


Nuit jetée au milieu de la route,
pourquoi m'est venue cette image,
d'une petite route du Tonkin, est-ce
la lumière tamisée de la rue, pâle,
d'un jaune lavé, étalée sur le lit,
une caresse des mains, cela suffit,
ou sortant de Tanger au petit matin,
forêt d'eucalyptus que le vent d'Est
malmène, le Détroit est en furie,
les siècles s'entrechoquent sous l'eau,
colonnes et statues antiques vacillent,
au fond, dans la poussière marine,
des coques brisées luttent en vain,
dans l'indifférence des dauphins,
des bancs de sars et des daurades,
tandis qu'à Na Cham les oiseaux
se cachent, bambous et bananiers,
sur une vieille photo, arrachée d'une
page de journal, tachée de vin noir,
mais la nuit sèche tout, le vent froid
retient les dialogues des marins,
les exploits des enfants sous le feu,
je courais moi aussi dans la forêt,
et peut-être n'ai-je fait que cela,
attendant que la nuit m'emporte
une bonne fois, sans un murmure,
sur l'étagère, le petit poignard et
la tabatière sculptée, des hommes,
temple ou fumerie, une jonque part,
dans la rue j'entends l'eau couler,
je suis à deux doigts de fredonner
un air inconnu, la médina bourdonne,
je t'enlace, je ne veux rien garder,
que faire, tant de beauté répandue,
tant de luttes, de chants incertains,
nuit parfumée, sur cette petite route,
accueille-moi, je me ferai caillou.

(14 février 2015)
Tabatière en bambou, Tonkin, Na Cham, 1910. 14 février 2015, 9h24 ©JJMarimbert


vendredi 13 février 2015

La nuit 59


Cette nuit j'ai trouvé la clef d'une énigme
évaporée dans la pénombre, rien n'y a fait,
elle m'a tenu les yeux ouverts jusqu'à l'aube,
je voyais des citronniers, des oliviers bleus,
les racines trituraient une épaisse terre noire,
je marchais sur une petite route, sinueuse,
était-ce une île, allais-je atteindre le désert,
ciel de papier fripé, reflets d'argent et d'eau,
pourquoi étais-je seul, si vieux, à marcher,
l'instant d'après, ma voix était d'un enfant,
claire, mais les mots, terribles, résonnaient
dans la chambre, l'espace volait en éclats,
qu'avais-je enfoui et piétiné de si brûlant,
je lisais sur mes lèvres, tout allait trop vite,
puis l'inverse, silence, les paysages défilaient,
je revoyais la Grèce, la région de Ghardaïa,
les dunes de Merzouga et l'oasis d'El Golea,
un village de Tata Somba, l'île de Zakynthos,
un bric-à-brac incohérent, j'ai dû me lever,
l'eau avait un goût amer, j'ai tiré les volets,
les toits flottaient, cyprès, rues, lampadaires,
la ville surmontée d'un halo jaune, orangé,
ciel insondable, et au-delà, collines, champs,
forêts, montagnes, je n'étais nulle part, jamais,
prétentieux au point de croire que j'existais,
mais non, qu'avais-je détruit de si fragile,
fenêtre ouverte, le froid m'envahit peu à peu,
je me sentais bien, apaisé, énigme évaporée,
j'ai retrouvé le lit, j'aurais aimé t'en parler,
mais qu'est-ce, sinon l'horizon qui tremble,
tandis que partout la guerre fait rage et tue.

(13 février 2015)

jeudi 12 février 2015

La nuit 58


La nuit creuse une galerie sans fin, non,
propension maladive à forger des images
là où l'obscurité l'emporte sur tout, sur soi,
fausse pénombre d'où jaillissent fumeroles
et coulées de lave, oh, quelle platitude,
et l'air me manque, oh, le silence me tue,
je bricole, lamentable, rien ne tient, rien,
je voudrais être fou, là oui, un volcan,
ou danseur de corde, dresseur de puces,
le chapiteau résonnerait de cris d'enfants,
nuit noire et d'un coup, roulement, éclair,
nuage de vapeur bleue, oh, j'ai huit ans,
mon vélo, ce vélo que je n'ai jamais eu,
je tourne sur la piste, mille yeux m'épient,
debout sur la selle, je tends les bras, ah,
oh, j'allais à pieds, chemin de cailloux
bordé de mauvaises herbes, fleurs jaunes,
je tape dedans, dans mon cartable, rien,
l'orchestre explose, cuivres et cymbales,
costumes rouges gansés d'or, casquettes,
j'attrape une corde, dans la rue il pleut,
la nuit s'épaissit, tu es sur le trapèze,
je n'ai jamais eu ce vélo, je m'en fiche,
le vélo tourne, seul, dans le cercle doré,
encore deux ou trois scènes et, oh, tu ris,
enfin, ton visage est caché, comme si,
des bouts de phrases pendent au plafond,
des stalactites de ma vie, des restes épars,
et mon œil d'éléphant de cirque, raviné,
je m'énerve, la nuit est une pâte, un tube,
si je ferme les yeux je m'enfonce et coule,
au centre de la piste, des sables mouvants,
je suis accroché à ma corde, ça tourne et,
la nuit est un trapèze, je bricole des riens,
je tape dans des cailloux, ne sais où je vais,
il suffit que je bouge un peu, quand je pense
à tout ce qu'il y a dehors, oh, j'ai le vertige.

(12 février 2015)
Toulouse, 3 février 2015, 16h21. ©JJMarimbert


mercredi 11 février 2015

La nuit 57


Toute une nuit, blanche, belle image du vide,
mais, et la baleine alors, un vide envahissant,
inépuisable, harpons tordus, lambeaux de filets,
cordes arrachées aux barques, un trou dans l'âme,
vite, chercher, ici ou là n'a aucun sens, la voir
c'est la rater, la fixer ne plus bouger, nuit pâle,
j'ai un miroir de poche, capte les reflets du halo,
lamparo de rue, dehors dedans, tirer, sentir vibrer
la lumière, une rayure à peine, et le petit miroir
balaie la pièce, je vois tout, sommeil terrassé,
tant de choses éteintes, je tourne un peu, voilà,
sur le bureau, lettres immaculées, cachetées,
il y a belle lurette que, plus jamais je n'ouvre,
je n'attends plus, j'essaie de deviner, pour rire,
la nuit est une lettre blanche, pleine à craquer,
ventre bombé, Jonas déambule, ivre, désœuvré,
alors ouvrir, le miroir passe d'une lettre l'autre,
avec au fond des livres, souliers de Van Gogh,
semelles blanches maculées de terre et de vin,
lire dans un champ labouré, soc affuté, à l'os,
la nuit tout est possible, ou, navigation à vue,
un trident à bout de bras, le mur blafard crie,
je balaie, la fenêtre n'en mène pas large, close,
je suis en pleine forme, elle va s'ouvrir, sûr,
souquez ferme, Moby Dick en vue, je tombe
sur une feuille à terre, froissée, glisse encore,
le drap, blanc, des plis, corps dessous, figé,
corps debout, silence de la houle, je me tais,
main crispée, le petit miroir, épuisé, gouffre,
un œil, dardé, mais quoi, voit tout, même toi,
la nuit s'éteint, belle nuit blanche, où es-tu.

(11 février 2015)

La nuit 56


La nuit dernière, j'étais d'une humeur
massacrante, une nuit chasse l'autre,
je ne me souviens de rien,
sinon de cela, une humeur noire,
pour une raison engloutie, et là,
tandis que le volet subit un vent glacé,
je m'imagine à bord d'un pointu,
voiles flottantes, en train de pêcher,
le courant m'éloigne de la côte,
roche rouge piquetée de moules, d'oursins,
les anémones ondulent mollement,
l'eau est claire, je pourrais voir
le bout de la ligne, le vif sacrifié,
soudain happé par d'invisibles mâchoires,
il se débat mais rien n'y fait, dents plantées,
il tremble, j'imagine une brûlure au ventre,
alors je tire, bouche accrochée,
dilacérée, arrachée, j'ai tiré trop fort,
non, je nage, je ne pêche pas,
je fais ce que je veux, sans raison, j'observe,
la nuit, le centre se déplace sans arrêt,
je suis malléable à souhait, ne suis rien,
la vie occupe l'espace de la chambre,
et je me noie avec délice, mais parfois
mon humeur change, je me débats
dans un étau transparent, j'ai beau faire,
je suis certain que tu me vois.

(11 février 2015)
Toulouse, Dans la bibliothèque, 5 mai 2014, 20h19. ©JJMarimbert




lundi 9 février 2015

La nuit 55


D'une ancienne nuit me sont restés
la lumière d'un port au couchant,
les odeurs de sardines écrasées
par les pneus de carrioles à bras,
auréolées de petites mouches noires,
un ou deux chiens flairant les arêtes,
au sol brillent des écailles dispersées,
le brouhaha des marchands de fèves,
les cris du porteur d'eau, de limonade,
la fumée des brochettes grillées
sur des kanouns de terre cuite,
des bidons coupés, jaunes, rouges,
des piles de pains ronds et d'assiettes,
tu marchais vers les terrasses bondées,
de longues tables de planches tachées
d'huile, les verres de café et de thé,
tout cela et je ne sais plus, un ciel,
tes cheveux, une course d'enfants
entre les bancs, et la mer, un reflet,
bateaux teuf-teuf, filets verts étalés,
ou bien l'ai-je inventée, cette nuit,
toutes les nuits je pars si loin, respire
à pleins poumons, les embruns volent
à travers la chambre, et je divague,
assis sur un baulard je me tais, écoute,
bois un vin fort, et tu ris, je sais bien,
des lieux si communs, pâle exotisme,
peu importe, dans la douceur de l'air
une radio crachote un air de luth,
je repense aux sardines, cageots pleins
saupoudrés de glace pilée, je marche,
je voudrais me perdre dans la ville,
ne la connais pas, elle s'efface, je crie,
j'ai dû m'assoupir, mon livre est tombé,
je me suis égaré, seul persiste, tenace,
un voile de néroli, je n'en suis pas sûr,
il y a longtemps, les oranges ont pourri,
ou bien est-ce une nuit à venir, qui sait.

(9 février 2015)

La nuit 54


La nuit toujours se gagne sur la houle,
puissant chaos des remous, cœur du temps,
le corps étendu, étiré, fusionne avec le tout,
d'invisibles pores suinte le trop-plein,
peu à peu la peau se teinte d'ailleurs, lasse,
au dedans, des villes grouillent, des océans,
des forêts tremblent, bestiaire immémorial,
je me vautre dans les cris d'amour, ivre d'os,
de muscles et de muqueuses, parfums enfouis,
je n'entends plus le bruit du monde, là-bas,
à peine un murmure, les voix de toujours,
tous ces mots inutiles, incompris, brûlés,
ces murs dressés, dans la bouche du sable,
sable encore dans les yeux et les poumons,
j'ai perdu le sens, la nuit se gagne sur le vide,
exposer l'envers dans le silence de la chambre,
attendre, écouter, en toute voix se cache, tue,
la profonde douceur étouffée, trahie, bafouée,
mais toujours là, que la houle triture en vain,
en pleine nuit, naïveté de l'être émerveillé,
le vent déchire la crête des vagues, hurle,
rien n'y fait, colère noyée, haine dissoute,
les yeux ouverts dans la pénombre rayée,
ne croire en rien, en personne, sauter le pas,
du creux béant laisser surgir l'attente pure,
ainsi flotter dans des hoquets de tendresse.

(9 février 2015)
Toulouse, Métro, 6 février 2015, 7h43. ©JJMarimbert